Gaultier de Varennes, système Munfayl, 10 mars 3305
La petite petite pièce était aveugle et nue. Ses murs étaient couverts d’une feuille de métal gris. Une table en formica et deux tabourets en constituaient le seul mobilier. Le décor rudimentaire de cette cellule offrait en raccourci une image de la base planétaire toute entière : Gaultier de Varennes n’avait rien d’un site touristique. Son spatioport n’offrait pas même pas aux voyageurs égarés tous les services de ravitaillement. Rares étaient les pilotes qui s’aventuraient dans cette région lointaine et inhospitalière du système Munfayl. Il fallait vraiment une bonne raison pour atterrir sur cet outpost perdu, plongé dans la nuit, et orbitant lentement autour d’une gazeuse morne.
Uriel Pineout venait d’y faire escale. Les positions qu’il occupait au sein de la hiérarchie lui avaient permis de franchir toutes les barrières de sécurité. Il lui fallait rencontrer l’homme retenu ici, et gardé par des forces spéciales. Tous deux maintenant se faisaient face, dans cette salle habituellement réservée aux interrogatoires musclés. Son vis-à-vis lui souriait avec ironie. Il portait la veste et le pantalon bleu clair des prisonniers.
– M. Pineout… Je n’ai pas souvent l’occasion de recevoir des visiteurs. Que me vaut le plaisir de votre visite ?
– Vous vous doutez bien de ce qui m’amène, Steinmann.
Uriel avait cru un instant que la disparition du Premier Consul allait changer la politique du Consilium. Mais, au terme d’une rapide révolution de palais, les dignitaires embourgeoisés qui régnaient sur Munfayl avaient poursuivi dans la même voie : celle de la conquête. L’empire Black Birds s’étendait tous les jours, jusqu’à inquiéter les intérêts de la Fédération.
– Ils ont tout oublié… Ils ne rêvent que d’expansion, de pouvoir et d’argent… Ils sont empêtrés dans les intrigues de cour, les querelles de préséance, les postes à se partager, les miettes d’honneurs dont ils se rengorgent… Des notables engraissés, dont la fortune se compte en milliards de crédits… et qui ne cherchent qu’à arrondir leur magot… Ils ont trahi… trahi leur mission… notre mission…
– Et qu’y puis-je, si tous ces félons qui devaient consacrer leur vie à chasser les Thargoïds se sont découverts une lucrative vocation de mineurs ?
– Si je suis ici, c’est parce que vous pouvez m’aider à réveiller Alexandra.
Uriel était l’amant d’Alexandra depuis plusieurs mois. Après qu’elle eut participé à la destruction d’un chasseur Thargoïd, là-bas, dans les Pléiades, il avait cru qu’elle était devenue une vraie Black Bird. Mais non. Elle était rentrée à Munfayl et avait continué à suivre aveuglément les conseils des consuls et des officiers. Répandre la Paix des Black Birds dans tous les systèmes environnants, telle était désormais sa ligne de conduite. Elle voulait maintenant rendre ses peuples heureux! Elle n’avait rien compris. Elle n’avait pas compris que le monde changeait; les xénomorphes multipliaient les incursions dans les systèmes, et les Black Birds restaient de glace, indifférents à cette menace chaque jour grandissante. Et lorsque par hasard ils prenaient le risque d’une expédition anti-alien, ils se faisaient humiliés par ces monstruosités bio-mécaniques.
– Je ne veux pas lui nuire. Juste lui ouvrir les yeux.
– Moi non plus, je ne veux pas lui nuire. J’ai trop de respect pour sa famille, et je sais qu’au fond d’elle-même, elle m’estime. Assez en tout cas pour me laisser en vie. Elle attend que quelqu’un décide de la libérer de la tutelle où elle se trouve. Vous et moi, nous allons l’aider à remettre le Consilium sur de meilleurs rails. Vous lui rendrez service. Vous la soulagerez, car elle a les mains liées.
Uriel se raidit.
– Mais comment ? Je ne veux pas être complice de nouvelles horreurs, comme celle que vous avez pratiquées à Shangdi.
Steinmann balaya l’objection d’un geste de la main.
– C’est du passé. J’étais allé trop loin. Mais il faut revenir à nos fondamentaux. Nous aurons besoin de tous nos alliés. Comment s’appelait ce petit journaliste du Vox Veritas ? Il faut qu’il reprenne sa place à la rédaction. Il nous aidera à réveiller l’opinion publique. A lui rappeler quel est le vrai visage de notre ennemi.
– Blondin ? Personne ne sait où il est.
– J’ai ma petite idée, Uriel. Croyez-moi, nous allons le retrouver.