//RAVEN//
Nous n’existons pas.
L’Orca de l’Ambassadeur s’engageait lentement dans la « boîte aux lettres ». Resté en arrière, je coupais les moteurs et me mettais en stand-by. La première partie de ma mission terminée, je n’avais plus qu’à patienter le temps des négociations, suite à quoi nous reprendrions la route vers le Nid. L’Ambassadeur ne s’attardait jamais après les tractations, les mondanités n’étaient pas son fort et il préférait partir aussi vite que possible pour ne pas avoir à lécher trop de séants…
La vue de ce vaisseau pénétrant dans une station me rappelait immanquablement les vieux schémas de cour de biologie à l’école, où on nous montrait de valeureux spermatos s’acharner sur un ovule. La métaphore n’était pas si mauvaise, ces rencontres donnant souvent naissance à de fructueuses alliances. L’Ambassadeur avait une vision moins poétique de la chose, qui impliquait un gros suppositoire et une insertion sauvage dans le fondement. Chacun son ressenti. Pour une fois que je passais pour le romantique…
Une fois assuré que la fécondation avait bien eu lieu, je n’avais plus qu’à attendre la communication venant du suppositoire pour signaler le départ. Ces missions d’escorte sont rarement amusantes, voire carrément ennuyeuses. On n’attaque pas souvent un Ambassadeur. Dommage.
L’escadrille RAVEN dont je fais partie avait été créée par notre Fondateur pour servir de garde rapprochée à son Ambassadeur. Le service des Relations d’Ambassades et de Valorisation de l’Entité Neutre se chargeait ainsi de la protection du représentant officiel du Consilium lors de ses déplacements pour promouvoir la neutralité du groupe, ou fonder de nouvelles alliances, comme aujourd’hui. Le terme d’alliance était toutefois un bien grand mot pour désigner finalement des pactes de non-agression, offrir au nouvel allié l’assurance d’avoir toujours un moyen de faire son sale boulot, et fournir par la même les Black Birds en contrats divers.
Ça, c’est la version officielle, la partie visible de l’iceberg. La réalité, comme souvent, est bien plus sombre.
RAVEN. L’escadrille de Renseignement Avancé, de Vigilance Extra-terrestre et de Neutralisation.
Le nom complet intégrait à la base les termes de « Neutralisation des Menaces ». Mais le Fondateur n’aimait pas ça. On ne menace pas les Black Birds. Si tant est qu’un individu ou un groupe s’y essaie, il est oblitéré. Et puis, comme il le disait, « RAVENM », c’était moche.
Si le Black Birds Squadron est le bras armé du Consilium, nous sommes celui du Fondateur. Fidèles à ses idéaux, à la limite du fanatisme, nous sommes sa milice, les inquisiteurs de sa volonté. Froids, méthodiques, chirurgicaux, nous agissons en son nom ou dans son ombre. L’escadron noir de l’Ambassadeur, un homme trouble aux multiples facettes. Véritable courtier de l’information, il tire en secret les ficelles d’une partie de la politique galactique. Capable de déclencher un conflit à l’autre bout de la bulle habitée, ou de forcer un blocus sans que quiconque ne soupçonne son implication.
Sous couvert d’escorter l’Ambassadeur, nous sommes des soldats, des espions, des explorateurs, des assassins. Un groupe réduit de Black Birds sélectionnés par le Fondateur en personne. Une équipe d’intervention rapide, mobilisable à tout instant, capable d’éteindre une étincelle avant qu’elle ne s’enflamme, ou bien de l’embraser. Les Black Birds ont une ligne de conduite, un code, une réputation à entretenir. Nous n’avons rien de tout ça. Nous ne rendons de compte à personne. Nous exécutons les ordres du Fondateur, il en observe avec satisfaction les résultats. Nous n’existons pas. Nous escortons, nous espionnons, nous punissons. Et nous disparaissons.
Toujours aucun signe en provenance du suppositoire. Bon sang ce que le temps paraît long quand on est là, dans le vide, à attendre la fin des tractations, en regardant la station tourner sur elle-même. Je devrais peut-être songer à prendre un animal de compagnie, ou demander à Rapture XIII s’il veut que j’emmène Alfred en ballade avec moi, ça m’occuperais. Déjà deux heures à poireauter depuis notre arrivée, et pas question de piquer un somme…
Je me remémorais le speech de Rapture I et III lors de mon intégration au sein de RAVEN.
« CMDR, nous avons décidé de vous accorder les pouvoirs et avantages d’un membre du service de Renseignement Avancé, de Vigilance Extra-terrestre et de Neutralisation », avait commencé l’Ambassadeur. Le Fondateur poursuivit : « Les Ravens ne sont pas formés, ils sont nommés. Ce sont des individus aguerris par de multiples combats et dotés d’un grand sens du dévouement, dont les actions les ont élevés bien au-dessus du rang de simples soldats. »
« Les Ravens sont un symbole, reprit l’Ambassadeur, un idéal : ils incarnent courage, détermination et autonomie. Ils sont le glaive du Fondateur, les instruments de sa volonté. Ils portent un lourd fardeau. Ce sont les protecteurs des Black Birds, notre première et dernière ligne de défense. La sécurité du Consilium est leur responsabilité. »
Ça en jette ! J’ai oublié la suite, mais ces deux-là ont le sens de la mise en scène. Il ne manquait plus que la musique et la foule en admiration… Mais pas de ça chez les Black Birds.
Voilà ce que je suis devenu ce jour-là, ce que je serai jusqu’à ce qu’on me tue.
Un agent du service de Renseignement Avancé, de Vigilance Extra-terrestre et de Neutralisation. Un Raven. Directement mandaté par le Fondateur. Un pilote d’élite habilité à combattre toute menace pour les intérêts du Consilium de la manière que je juge nécessaire.
Nous opérons en solo ou en groupe de 2 à 4. Nous sommes les hommes de l’Ambassadeur mais ne connaissons pas la diplomatie. Une bande d’assassins impitoyables n’hésitant pas à supprimer quiconque se met en travers de notre chemin. Nous accomplissons notre mission, d’une manière ou d’une autre, quitte à agir en marge des lois galactiques.
Bientôt trois heures sans nouvelles de Rapture III. Ses hôtes doivent être bornés, difficiles à convaincre. A moins qu’il n’ait pas réussi à s’exfiltrer avant le début des réjouissances post-négociations… Et là ce serait la merde ! Plusieurs heures supplémentaires à poireauter pour ma pomme, et un sort pire que la mort pour ce pauvre Black Bird. J’aurais dû emprunter de la gnôle à Rapture XXII, ou quelques-unes de ses esclaves, voire les deux…
RAVEN fut créée peu de temps après le Black Birds Squadron, en réponse à l’invasion Thargoïde. Le Premier Fondateur avait besoin d’agents de l’ombre travaillant en secret pour s’acquitter de tâches délicates sans remettre en cause la réputation du groupe alors naissant. Puis par la suite, il décida de ne pas la dissoudre. Risqué, mais pratique. L’affectation de RAVEN à une mission spéciale est en effet plus simple qu’un déploiement militaire, mais une telle décision indique clairement que le Fondateur souhaite résoudre rapidement un problème délicat.
Récemment Rapture I avait remis le couvert, trouvant les ressources nécessaires pour remettre en place, avec l’aide de l’Ambassadeur, ce groupe de l’ombre. Je ne suis même pas sûr que le Consilium soit au courant, ou bien il ne souhaite pas l’être, ce qui est probablement plus proche de la vérité.
« ENFIN ! » comme dirait Rapture II. Le signal de l’Ambassadeur me sortit de ma torpeur. Il allait sans doute être de mauvaise humeur, mais les négociations avaient abouties, d’une façon ou d’une autre. Quel qu’en soit le résultat, des actions vont en découler. Mouton-Cadet et les Technodons vont avoir du pain sur la planche. Si cela s’est bien passé, les Black Birds seront de sortie prochainement, ce qui mettra un peu de beurre dans les épinards. Dans le cas contraire, nous serons mobilisés, ce sera plus rapide, mais beaucoup moins rentable. Espérons que Rapture III ait su leur montrer où se trouvait leur intérêt.
Fini les divagations. Tous les systèmes sont en ligne, l’Orca est en vue, on rentre au Nid.
Nous sommes les Black Birds. Nous sommes RAVEN. Nous n’existons pas.