Blackmount Habitation, 14 février 3306
C’était le soir. Les deux SRV s’arrêtèrent au bord du cratère. Depuis la crête, on devinait, tout au fond, la cité de Blackmount Habitation, centre administratif de la DAX, cernée par des murailles de rochers. De l’autre côté du grand trou béant brillait un soleil immense, sur son déclin. Le sol bosselé et rougeâtre, éclairé par la lumière de cette étoile blanche qui tirait sur le bleu, paraissait comme une mer immobile dont les vagues auraient été pétrifiées pour toujours.
– C’est magique… quel coucher de soleil…
– Eh, tu me connais je suis un romantique… Tu te rappelles, la nuit dernière, par exemple, quand…
Alexandra pouffa.
– Uriel ! Grand coquin ! Bien sûr que je me souviens… Romantique peut-être, mais platonique, pas vraiment…
– Cela dit, pour une balade de Saint-Valentin, je le kifferais plutôt à deux places, le SRV. En pilote automatique. Avec des hamacs au lieu des sièges en simili-cuir. Et si possible sans les combinaisons Remlok… J’imagine deux ou trois trucs à tester sur une planète à faible gravité…
Les rires fusaient dans les communicateurs. Des lueurs rouges, bleues, violettes illuminaient le ciel somptueux des Pléiades. Après un silence, Alexandra reprit.
– Il n’empêche que l’espace est tellement beau ici… C’est dans les cieux des Pléiades que je suis devenue une Black Bird, je ne l’oublierai jamais… Et désormais, depuis ta dernière campagne, quelle sécurité, maintenant !
– Sécurité ? Ici ? Mais tu rigoles ! Saletés d’aliens… Plus on dégomme de ces saloperies, plus il en revient. Les Thargoïds, dans cette nébuleuse, c’est comme une invasion de sauterelles. Il y en a partout ! De plus en plus !
– Mais… les cérémonies ? La Gloriae ?
– Une opération de communication pour amuser la galerie, et positionner les Black Birds dans la compétition galactique, c’est tout.
– Et les exploits de Firenze ?
– Firenze ! Laisse-moi rire ! Ton canard de propagande l’appelle “Le bourreau des coeurs”… En vérité, c’est un petit con arrogant qui se la pète, c’est tout. C’est un jeu pour lui, cette guerre. C’est un gamin inconscient!
– Uriel, tu n’as pas le droit de parler comme ça ! Il est notre héros ! Le temps passé, l’énergie déployée pour former les hommes, galvaniser les équipages…
– Ha ! laisse-moi rire. Une vaste blague. Mais enfin, j’imagine que c’est ça, la politique.
– Quoi? Tu reprochais aux pilotes d’être des Black Bourges ventripotents, et voilà qu’ils sont tous partis, comme un seul homme, affronter les aliens, la fleur au bout du railgun, entraînés par l’enthousiasme d’un enfant ! N’est-ce pas l’épopée que tu voulais vivre à nouveau ? Ne sommes-nous pas revenus au temps des premiers Black Birds ? De la chevalerie, des prouesses, des exploits pour la défense des innocents?
– Conneries. Ce que je veux, moi, c’est qu’on se débarrasse de ces saletés de xénomorphes une fois pour toutes. Et ce n’est pas avec quelques shards et quelques coups de canons Gauss qu’on y arrivera.
Alexandra avait retrouvé son ton de porte-parole.
– Que proposez-vous, alors, Commander ? Qu’on leur balance un Micoid deuxième génération?
– Un génocide… non, peut-être pas… Mais il y a d’autre solutions. Un peu moins radicales.
– Lesquelles ?
Uriel resta silencieux avant de répondre, lentement. Une pointe d’inquiétude perçait dans sa voix grave. Il savait que ses paroles risquait de briser quelque chose entre eux.
– J’ai jeté un coup d’oeil aux rapports du L.A.R.A… J’ai commencé par les plus récents… Et puis je suis remonté un peu en arrière… Quelques années… Jusque…
– Jusqu’au temps de Steinmann tu veux dire ? Ce monstre ? Quand je repense à ces enfants… Ces malheureux enfants, sacrifiés sur l’autel de sa démence…
– Il a déconné, vers la fin. Mais il avait de bonnes idées. Il y a en a une en particulier, qui…
– Uriel, arrête tout de suite. Nous allons affronter les Thargoïds avec des armes conventionnelles. Les Black Birds sont des chevaliers, pas de vulgaires assassins de masse. Pas des génocidaires.
– Tes chevaliers, tu les envoies sans scrupules à la mort! et pourquoi? Ils explosent avec panache, et dans l’honneur… mais ça sert à quoi ? Que dalle! Bon sang, Alexandra ! Il faut voir plus grand… Dans la galaxie, il y a des gens plus ambitieux. Il y a des gens qui pensent vraiment au salut de l’humanité. La gloire, l’héroïsme, les exploits… on s’en cogne. C’est la victoire seule qui compte, quels qu’en soient les moyens.
La voix d’Alexandra tremblait dans le communicateur. Pleurs ? Colère?
– Uriel, tu parles comme un salaud.
L’un des deux SRV fit demi-tour, et plongea dans la nuit, vers la station de BlackMount. L’autre véhicule resta sur le sommet, sous le clair de soleil bleu qui baignait l’horizon.