Alexandra avait demandé qu’on sécurise le salon d’observation du Fleet Carrier, et qu’on la laisse seule. Elle se tenait debout, face à la vitre, d’où elle regardait, stupéfaite, l’étrange spectacle que lui réservait le ciel de Colonia. Ces milliers de points lumineux emplissaient tout l’espace et brillaient comme une guirlande de Noël. Tant d’astres, tant de mondes inconnus se cachaient derrière chacun d’eux ! Quels secrets, quelles formes de vie étranges dissimulaient ces myriades de systèmes ? Elle avait vu des clichés de végétaux improbables, d’anomalies stellaires, de planètes orbitant dans les bras des naines blanches… Combien l’humanité restait petite, face à tous les mystères qu’il restait à découvrir dans la Voie lactée ! Cette expérience était nouvelle pour elle. Jamais elle ne s’était aventurée si loin vers le centre de la galaxie, à 22 000 années-lumière du système solaire. Elle en eut le vertige. Elle frissonna.
Son communicateur longue distance se mit à vibrer. Elle prit l’appel. C’était Luc Delavallée, son chef de la sécurité, qui administrait les affaires courantes à Munfayl en son absence. Qui aurait imaginé qu’un conflit avec les Médicorps menacerait précisément de se déclencher à ce moment ? Tout était si calme avant son départ pour Colonia !
Sans préambule, Luc expliqua le dernier développement qui venait de se produire.
– Blondin a réussi à quitter l’Hippocratès.
– Il n’était pas aux arrêts ?
– Apparemment, non. D’après ce qu’on a compris, quand l’avis de recherche a été lancé contre lui, il s’est planqué. Dans les toilettes sèches du Fleet Carrier, pour être exact. Eh oui, ils se donnent des airs écolos, les Médicorps. Puis il s’est enfui par les égouts, avec la litière et les matières organiques. De là, il est passé par les conduits d’aération et a rejoint son vaisseau. Il s’est ensuite discrètement laissé dériver avec les déjections de l’équipage.
– Ah merde…
– Je ne te le fais pas dire, Alex. On a reçu un message incohérent : “Le bar est fermé ! Il n’y a plus une goutte d’UAlcool aux épices à trouver dans tout le bâtiment ! Je ne resterai pas une minute de plus à bord de ce trou à rats, je me casse !” Il a réussi à décoller, mais depuis nous sommes sans nouvelles. Étant donné son état, il n’a pas pu faire beaucoup de chemin.
– Où a-t-il pu aller ? Il s’est écrasé quelque part ? A moins que les Médicorp ne l’aient déjà repris ?
– On ne sait pas, à ce stade de l’enquête. Ce qu’on a découvert en revanche, c’est qu’il avait quatre nacelles dans sa soute.
– Des nacelles de survie ? Volées aux Médicorp, peut-être ? Et que veut-il en faire ?
– Difficile à dire. Et que veut-il faire de quatre corps en hibernation, impossible à savoir. Blondin est tellement… imprévisible.
– C’est un bon journaliste, fidèle. Un des derniers à croire en ce que nous faisons : la guerre anti-Thargos, le salut de l’humanité… Nous ne sommes plus si nombreux à avoir la foi, déclara Alexandra d’un ton soudain plus mélancolique.
– Un va-t-en guerre obtus dont les propos outranciers risquent de causer un conflit inutile pour nos intérêts, corrigea Luc, sans se départir de sa franchise.
– Qu’en pense le Consilium ?
Luc soupira, et répondit à contre-coeur.
– Le Consilium vient de me faire connaître sa décision : dès que nous aurons retrouvé la trace de Blondin, nous devrons lancer une opération spéciale pour l’exfiltrer.
Alexandra remercia son chef de la sécurité. Elle raccrocha, et contempla encore longuement les innombrables étoiles du noyau galactique.