Parce que quelqu’un doit le faire
Nous étions tous les 4 totalement nus et entièrement rasés, à subir de terribles brûlures sur notre peau. J’étais incapable de dire si la douche était brûlante ou si de l’acide coulait sur nous. La désinfection devait encore durer 10 minutes, je m’en souciais guère. A côté de moi 2 rapture profitaient du ruissellement pour masquer leurs larmes. Dans le sas de droite, finissaient de brûler nos vêtements et affaires personnelles. Ma peau était rouge écarlate, mais la douleur me faisait presque du bien…j’étais vivant…voilà ce que m’indiquait cette formidable brûlure….”si un jour tu passes sans avoir mal, c’est que tu es mort”.
Pourtant, la journée n’avait pas si mal commencé !
Je me tenais debout sur le PAD devant les nouvelles recrues. Les dernières semaines avaient été compliquées, l’hécatombe dans nos rangs nous avait obligé à recruter plus de monde que prévu, et les former n’était pas simple. Les choses avaient changé au sein de l’escadrille, j’avais perdu de bons pilotes…parfois plus que ça. Je ne devais pas m’attacher et me persuader que de la viande déjà morte se tenait debout devant moi, écoutant la fin de mon briefing. Je n’étais plus pilote, j’étais un fossoyeur..ne t’occupes pas des procédures atterrissage, pour ton atterrissage, c’est l’ennemi qui s’en occupe !
Je récapitulais les ordres de mission “….puisque nous n’avons aucun contact, la destruction des drones de sécurité de l’Outpost scientifique est donc une priorité. La division de l’Oeil nous encourage à la plus grande prudence”.
Rapture VII annonça tout haut ce que les autres pensaient :
“On va se taper 200 Al pour aller buter des putains de drones de merde, parce que les pilotes du ravitaillement sont trop nazes pour faire une approche sans essuyer des tirs ? on est des nounous maintenant ?”
Comme souvent il avait pas tord, mais une mission est une mission. Je me contentais de le regarder droit dans le yeux, sans aucun mot ni expressions sur mon visage…. et finis par donner l’ordre d’embarquer. Je faiblissais, il y a quelques semaines de cela, ce rapture aurait nettoyé les PAD jusqu’à en perdre ses ongles…
-“quelqu’un doit bien s’en charger, Raptures, en selle !”, je tournai le dos, plus pour fuir leurs regards que mettre fin à cette discussion.
Le sixième cercle de l’enfer
Les hérétiques brûlent dans un brasier sans fin. Leur prétention les a poussés à se substituer aux puissances qui les dépassent, repoussant les limites de la science et de la vie. Le glas sonne pour eux et ils s’en étonnent.
L’outpost scientifique, à plus de 20.000 Sl de l’étoile principale, avait effectivement des drones de défense particulièrement belliqueux. Mes 3 ailiers durent batailler pendant deux bonnes heures pour en venir à bout. Enfin une mission sans mort ni perte….j’en eu presque le sourire aux lèvres en envoyant mon rapport de mission. Quelques minutes plus tard, alors que nous reformions la formation, mon terminal de transmission, attaché à mon bras gauche, vibra en transmettant un message en morse. Le consilium m’envoyait une info Fash de niveau II.
-“Nouveaux ordres : Appontez Ouptost, enfilez combinaisons HAZMAT, pénétrez station, rendez-compte au plus vite”.
Incroyable….un accostage et une mission de reconnaissance…mais pour qui nous prenaient ces guignoles ? Nous étions des pilotes, pas des rampants de bas étage ! Le Consilium savait savamment organiser sa vengeance, fallait bien lui reconnaître ça ! Je claquais mes ordres à la Wing et coupais les transmissions avant d’attendre la remarque ou la blague pourrie de Rapture VII qui, j’en étais persuadé, n’allait pas s’en priver.
Je posais mon vulture sur le pad 3 et la passerelle me fit descendre dans un monde que j’aurais préféré ne jamais visiter. En arrivant sur le pont inférieur, je fus frappé par le silence et la pénombre. Il n’y avait pas un bruit, pas une lumière, il faisait noir et, le givre se formant sur ma verrière, m’indiquait que l’air devait être glacial. Ça n’allait pas être partie de plaisir. Que se passait-il dans cet outpost ? A l’image des autres Rapture dans leur Vulture, j’enfilais cette combinaison lourde et puante pris une inspiration et ouvris mon sas.
Rien de pire que l’absence d’un regard
C’est Rapture XXV, que tout le monde appelait Junior, qui vit le premier corps. Son entraînement était parfait, pas un tremblement dans la voix, la distance nécessaire, le calme en toute chose. “Quoi qu’il arrive, la première chose à faire en toutes circonstances est d’expirer, puis, quand tes poumons sont vides, tu inspires doucement. Le stress pompe tout l’oxygène de ton corps et ton cerveau en a besoin pour réfléchir…n’oublie jamais ça”, les paroles du borgne étaient sages et m’avaient guidées…Rapture XXV avait dû passer du temps à Perséphone, c’était une bonne chose.
Il ne ressemblait plus à rien, sa blouse blanche était maculée, ses orbites vides contemplant l’éternité dans un désolément frappant. La position de son corps avait quelque chose de grotesque, presque comique tellement elle était improbable. Je ne put à peine distinguer le nom inscrit sur l’holo-pancarte accrochée à sa blouse. Je me relevais péniblement, on continue.
Nos lampes balayaient les couloirs glacés et sombres qui traversaient la stations d’une part à l’autre. A chaque coin de coursive, dans chaque pièce, le spectacle était similaire : la mort partout. les corps enchevêtrés, la putréfaction figée par les températures glaciales. Certains tenaient dans leurs mains une armes, ils avaient dû mettre fin à leur agonie…il y a des chanceux partout.
Dans le réfectoire de la station des corps avaient été alignés sur le mur extérieur. Ces gars-là avaient été exécutés par les services d’ordres, ça ne faisait aucun doute. Faîtes tomber quelques barrières, et même dans l’espace, avec les plus grands esprit, côtoyant les meilleures technologies, tout le monde redevient ce que nous sommes tous : des bêtes qui mordent si elles souffrent. Il y a quelque chose de rassurant dans cette fatalité.
Je consultai mon oxygène, 30%. Merde. Je pianotai sur mon terminal un rapport des plus éloquents et d’une extrême concision…il n’y avait pas beaucoup d’autres détails que “tout est mort à bord” à donner. Le retour fût rapide et inattendu :
“Enclenchez autodestruction de la station, rien ne doit survivre, retournez à Samson immédiatement sans aucun contact radio”……
“rien ne doit survivre“, j’étais à deux doigts de me demander s’ils ne se foutaient pas ouvertement de ma gueule !
Ma mère…
Le cœur d’un outpost est toujours un lieu surprenant. Le coeur en fusion diffuse une lumière bleue presque magique. Noyé dans sa cuve de verre, la colonne d’eau ionisée d’élève sur hauteur fabuleuse, traversant les ponts inférieurs presque jusqu’à l’espace. Au pied, se trouve le centre de contrôle de la station. Sorte d’amphithéâtre encerclant le “grand aquarium”. A gauche de la console principale une trappe rouge donne accès à un local exiguë entouré de murs d’une épaisseur d’un petit mètre. Une seule personne peut tenir dans cette pièce, totalement vide à l’exception de verrous mécaniques situés à 1m70 du sol. Le basculement des 50 verrous métalliques en position verticale avait un effet simple, le déclenchement du compte à rebours de l’autodestruction de la station. La trappe n’était plus scellée, ce détail était inquiétant. Il n’était donc plus nécessaire de découper au chalumeau la trappe. Je me contentais donc d’emprunter l’échelle et descendis seul dans le local où le froid était bien moins vif mais la pénombre pour toujours bien présente.
Mon pied se posa sur une surface molle et mouvante. Je braquais ma torche au sol et vit une forme humaine bouger. Du sang coulait de ses yeux. Je ne put dire si cette forme était un homme ou une femme. Le fantôme bougeait à peine, la douleur provoquée mon écrasement avait dû la réveiller. Je m’approchai de ce masque d’horreur :
-“vous m’entendez ? Qui êtes-vous. Dites-moi ce qu’il se passe ici”.
-“…”
-“Je vais vous aider, mais dites moi qui vous êtes”… “rien ne doit survivre“….fait chier !
La forme bougeait sa mâchoire, je m’approchai.
-“Je vous écoute, dites-moi ce qu’il se passe ici”.
En écarquillant les yeux j’écoutais cette forme à peine vivante prononcer des mots, ses derniers à n’en pas douter :
-“Expérience……..hum….artefact…”Le fantôme me pris le bras, je fus étonné par tant de force. Comment était-ce possible ?
-“vol….zai….. Ma …. Mèèèère”. Sa main retomba mollement. Ce qu’il ou elle fut, sa vie, ses souvenirs, son enfance, ses goûts, ses qualités et défauts, ses fantasmes et amours, tout cela disparu pour l’éternité en une fraction de seconde….Je suis un fossoyeur !
Courrez…… !
Mes hommes me suivaient, nous avions 10 minutes pour décoller où nous allions nous réchauffer très sérieusement une dernière fois !
…ou pas
La décontamination se terminait. Journée de merde. Je repensais à cette forme, tassée dans le local de destruction. Il ou elle avait dû avoir la même idée que le Consilium. Mettre fin à cet enfer. Mettre fin à cette expérience qu’il avait à peine évoquée. Dans mon rapport j’avais évoqué cette dernière et le mot Artefact des plus important. Il s’était passé quelque chose de terrible sur cet outpost, et c’était lié, sans aucun doute possible à nos ennemis. Je repensais sans cesse à cette dernière phrase, cette forme appelant sa mère dans sa dernière seconde de vie…..
C’est au moment où la dernière goutte me tomba sur le visage que je compris que la phrase n’était pas ce qu’il semblait et que le fantôme ne parlait pas de sa mère.
-“vol….zai….. Ma …. Mèèèère”
ou…
-Vol…zèbres…verts”…… BORDEL !